Regards sur l’intimité du dément

Publié le 01/07/2018 (mise à jour le 01/07/2018 à 16h28)

A.S.G – Assistant de Soins en Gérontologie·Mardi 29 mai 2018

« J’arrive où je suis étranger ». Aragon

« Il (elle) est dément(e) ». Le raccourci entre pathologie et personne est très souvent présent dès que l’on parle de pathologie à connotation psychologique. Les mécanismes démentiels en sont une illustration. L’évolution de la maladie, l’envahissement comportemental par la pathologie vont effacer la personne derrière le masque de la symptomatologie et le spectre des comportements. L’expression symptomatique sur le registre relationnel va orienter les représentations et la lecture de la personne malade dans une vision de « patient psychiatrique » ou/et « déficitaire », la liant dans une double acception : celle d’un « fou débile », situé à la limite, voire en dehors, du champ des humains. Le lien établi entre ces deux termes fait violence. Le monde des professionnels aura très souvent une autre vision, mais pas toujours. Celui des profanes et des aidants, plus empreint d’émotions, ne percevra a priori que cette partie émergente. Pourtant, la clinique institutionnelle décrit une vision totalement inversée. Les soignants, pris dans leur évaluation déficitaire, seront focalisés sur l’aspect symptomatique et sa correction, oubliant la personne derrière le symptôme, et se coupant du registre des affects véhiculé par la relation. Les aidants familiaux et les professionnels essaieront de conserver une vision humanisée de leur proche ou patient, mais cette humanisation laissera-t-elle place à une vision sexuée de l’autre, à la représentation d’un individu ayant besoin de tendresse, d’affection, de contact physique, pouvant exprimer du désir et pas seulement produire du symptôme dont une des expressions sera des comportements sexuels inappropriés ou jugés tels ?

La maladie d’Alzheimer, dans l’immense majorité des cas, est en lien avec le monde de la vieillesse, compte tenu de son apparition plutôt à des âges avancés. Quel regard est porté sur l’intimité des âgés ? Il n’existe pas une vieillesse, mais des vieillesses, ancrées dans une histoire, dans une époque et une culture. Comparer le vécu et la sexualité d’une personne de 70 ans à ceux d’une personne de 90 ans, c’est mettre en lien deux époques de l’existence, c’est faire un amalgame entre deux générations.

L’ÂGE ET L’INTIMITÉ

Penser l’intimité, c’est resituer les différents niveaux de l’intime d’une personne et dans une tranche d’âge donnée. Ici, la réalité et le vécu de la vieillesse vont donner la toile de fond de ce lien à l’intime.

L’INTIMITÉ AVEC SOI

La vieillesse est un temps d’adaptation nécessaire à un corps en évolution. Corps interne par le ressenti physique du vieillir, corps qui perd de sa fiabilité et devient le marqueur du vieillir par les transformations, les pertes et les interrogations sur ses capacités. Corps chargé d’une histoire, porteur des cicatrices de l’existence, des blessures, des maladies, de souvenirs et de nostalgie. Le garder comme corps présent, corps investi, c’est conserver un lien à soi. Le lien persiste parfois dans la dimension pathologique, par une surveillance de tout moment de ses défaillances et douleurs. L’actualisation d’un corps-plaisir, vecteur de sensations agréables, nécessite un véritable travail de discrimination entre normal et pathologique. Ce double vécu interne va étayer ou empêcher le corps relationnel qui se confronte au regard des autres. Comment la personne âgée fait-elle face au regard des autres et, plus encore, au regard d’un autre, dans une proximité qui met en action ce corps plaisir ou déplaisir ?

L’INTIMITÉ À L’AUTRE

Ce passage de l’intimité avec soi vers l’intime à l’autre va-t-il pouvoir être franchi ? Pour Pasini, l’intimité implique la compétence à « se mettre dans la peau de l’autre, sans perdre la sienne » . Quand ce vécu identitaire est en interrogation, quand les repères sur lesquels a été construite l’identité ont disparu ou sont devenus peu compréhensibles, comment l’âgé, et, en particulier, le conjoint d’une personne malade d’Alzheimer, vont-ils « prendre le risque » de se mettre dans la peau de l’autre ? Il y a dans le vécu des entourages la crainte d’une « vampirisation » de la part de la personne malade. Dans ce fantasme d’être pris, d’être englouti par l’autre, comment s’articule ce jeu entre soi et l’autre, sans craindre de se perdre ?

Les âgés deviennent transparents au regard des plus jeunes. Ils ne sont plus sujets apparents de désir et vont devoir se cantonner à leur monde. Où va se situer la barrière entre le monde adulte et le monde des vieux ? Quel va être l’indicateur, la marque qui sépare ces deux mondes ? Les plus jeunes ont tendance à désexualiser les âgés. La non-représentation d’une dimension désirante, érotique, sensuelle, sexuelle enferme les personnes âgées dans une image de continence, les confine dans une auto-censure où la première difficulté sera d’enfreindre un conformisme intégré comme une norme. Dans les institutions, ce mécanisme désexualisant est encore plus fort : l’exigence de conformité aux règles institutionnelles se rajoute à la pression de l’image sociale. Une personne en institution est facilement assimilée à une personne malade. À la vieillesse se rajoute ainsi la maladie qui exclue la personne du registre de la norme et l’enferme dans une « double peine » : celle de l’âge et de la maladie.

PRÉSERVER SON INTIMITÉ

La capacité à décider et à être entendu dans ses choix définit une autre dimension de l’intime : celle de la limite que l’individu donne à l’autre dans son existence. Elle marque le choix, la définition de soi. Elle renvoie à l’image de soi et à la responsabilité qu’implique la capacité à choisir. Dans le contexte institutionnel, la responsabilité individuelle s’articule avec la responsabilité collective de l’institution. Bien souvent cette dernière prend le pas, les résidents étant « confiés » aux bons soins de l’institution. L’équilibre de la santé physique peut dériver vers la surveillance de l’individu, objet de soins qui perd peu à peu son statut de personne pour n’être plus qu’un malade. Par ailleurs, la règle et la définition de l’institution concernent des individus et non des couples. Elle correspond à la réalité de la demande actuelle. Les couples, existants et surtout se créant, apparaissent comme des anomalies dérangeant l’équilibre institutionnel. Les institutions gériatriques se perçoivent comme un regroupement de gens seuls, caparaçonnés dans leur vieillesse et luttant pour ne pas se voir dans la vieillesse de l’autre. Mais est-ce seulement la vieillesse qui les réunit et les enferme ? Ou ne s’y ajoute-t-il pas la tentative de chacun de préserver son intimité en posant des limites à la fois protectrices et enfermantes ? L’âgé dans l’institution peut ainsi participer, par ce qu’il donne à voir et à son corps défendant, à ne pas apparaître comme un individu désirant, à renforcer la vision d’un individu désexué et la conviction de chacun que cette part de la personne n’a plus sa place dans ce contexte et dans cette étape de l’existence.

L’INTIMITÉ DE LA PERSONNE MALADE D’ALZHEIMER

Les pathologies dites dégénératives (terme porteur de représentations négatives) font de la personne atteinte une « incapable » pour laquelle il faut décider, pour qui les liens avec le monde de l’enfance sont souvent un modèle, même s’ils ne sont pas conscientisés. La question du libre arbitre est largement en toile de fond de celle du désir. La personne est-elle poussée par ses instincts ? A-t-elle la capacité à refuser et donc à ne pas être la victime d’un autre ? La question la plus prégnante des équipes en institution concerne d’ailleurs cette unique vision de la sexualité de la personne malade. Un malade d’Alzheimer ne peut avoir que des comportements sexuels pathologiques ou subir les agressions d’un autre alors que, dans l’ensemble, les chiffres de la littérature montrent que ces comportements sont peu fréquents. Ils sont décrits chez 2,9 à 8% des patients déments vivant à domicile et chez 3,8 à 7% des patients institutionnalisés et sont bien loin derrière d’autres troubles comportementaux tels que l’agitation ou l’agressivité. L’âgé malade renvoyé au monde de la petite enfance est un âgé qui sort du champ de la sexualité, pour qui la question du désir mature devient incongrue, voire choquante. Le télescopage entre enfance et grand âge crée ainsi la non-représentation d’un individu désirant. La construction d’une relation passe par la capacité à s’identifier à l’autre. Or, il est complexe de s’identifier à une personne malade d’Alzheimer. La difficulté à comprendre son univers, à échanger et, ce qui peut être pire, à se lire dans son regard, renvoie une image d’étrangeté à partir de laquelle le décryptage de ses intentions sera largement filtré par une lecture pathologisante. « C’est notamment des négociations et des arrangements mis en œuvre par les conjoints que dépend le dosage, chez la personne atteinte, du droit, du pouvoir et du devoir de se sentir malade, handicapé ou bien portant » écrit Hannes.

Le regard de l’autre, qu’il soit conjoint ou professionnel, va participer au mode relationnel mis en place avec le malade, et définir pour lui une représentation de lui-même. Le malade peut être vécu comme potentiellement sans limite, débordé par ses instincts et ainsi classé dans le champ de la bestialité. Giami l’avait noté concernant les handicapés mentaux : « On insiste plus volontiers sur les manifestations ostentatoires et agressives de leur sexualité que sur leurs inhibitions profondes. La « sauvagerie libidinale » qui leur est attribuée fait peur, car elle renvoie aux possibles pertes de contrôle et de maîtrise pulsionnelles qui guettent tout un chacun (au niveau fantasmatique). De fait, la sexualité des handicapés mentaux est perçue comme difficilement contrôlable, sinon incontrôlable ». On retrouve la même question de cette sauvagerie libidinale concernant la sexualité des personnes âgées Alzheimer et cette même interrogation sur sa propre sexualité. L’atteinte neurologique peut certes, chez certains, être source de troubles qui ne seront entendus que lorsqu’ils dérangent. L’apathie et la disparition de l’appétence sexuelle sont bien plus fréquentes que les comportements sexuels inadéquats. Ne dérangeant pas, elles ne sont pas considérées comme pathologiques car elles n’interpellent pas et n’obligent pas à se positionner. Par contre elles peuvent concerner le conjoint et le mettre dans une position d’abandon souffrante.

L’INTIMITÉ DU COUPLE

Pour Le Goues , « vieillir c’est se conserver. Seulement, voilà, comment peut-on se conserver si on s’aime moins, voire quand on s’aime plus ? » La question du narcissisme est une problématique centrale du vieillissement. L’image de soi, la perception de soi dans le regard des autres, la manière de se sentir « aimable » sont interrogées, renvoyant l’âgé aux pertes, au manque, à ce qui n’est plus. « l’investissement narcissique est lié au sexuel pour deux raisons. D’une part, car l’investissement objectal de la personne aimée suppose un investissement narcissique de soi suffisant (faute de quoi l’autre sert finalement à réparer les souffrances narcissiques) et, d’autre part, car il entre forcément de l’investissement narcissique dans l’investissement de l’autre, ce qui fait de lui, au moins partiellement, une extension du sujet (ce que dit bien l’expression conjugale “ma moitié”) ». Dans le vieillissement, les blessures narcissiques sont en lien avec l’évolution de l’individu mais aussi en écho aux pertes du conjoint. Comment conserver cet investissement lorsque l’autre n’est plus ce pour quoi il a été investi mais représente une part dont il faudra se séparer pour ne pas être soi-même englouti dans la maladie ? Langendorff rajoute que ces pertes mettent l’individu face aux limites de son existence et le conduisent à vivre avec cette perspective de la mort. Sa propre mort mais aussi la mort du conjoint, dépositaire des investissements libidinaux dont l’âgé est parfois amené à faire un deuil anticipé pour se protéger. Cette question semble d’autant plus présente dans le contexte d’une maladie d’Alzheimer. Dans de nombreux cas le conjoint non atteint par la maladie se trouve pris dans un processus de deuil anticipé, dans une forme de désinvestissement narcissique de celui qui ne lui renvoie plus rien, ou tout du moins dont il n’arrive plus à percevoir ce qu’il offre. La balance de l’équité relationnelle, comme l’évoque Bosromenyi-Nagy, est en déséquilibre, la dette relationnelle se creusant de plus en plus. La sexualité dont les composantes dépassent la seule génitalité, peut être encore un espace d’échange où le jeu relationnel garde toute sa place et contribuer à la construction identitaire. « Je suis ce que je suis par rapport à ce que l’autre renvoie de moi » précise Bosromenyi-Nagy. Dans cet échange, dans cet espace de partage, le miroir de soi brisé par la maladie renvoie de nouveau une image. Le corps, l’émotion partagée deviennent un possible contenant identitaire de l’individu, mais aussi du couple, dans un langage connu seulement d’eux, dans une complicité préservée, dans un espace de jeu les mettant en dehors des lourdeurs du quotidien et des rôles assignés par la maladie.

La rencontre peut ainsi se faire dans un couple qui n’est plus, pour quelques instants, celui d’aidant-aidé, mais celui d’un lien homme-femme dans une histoire partagée, dans une mémoire des gestes, dans l’éternité du plaisir, de la jouissance partagée. Il est difficilement représentable, même en dehors de toute maladie, que les âgés puissent être dans l’érotisme : « En matière d’érotisme chez le sujet âgé, tant que le besoin de jouir n’est pas exclu des gestes essentiels de la vie, les corps sont toujours des corps-objets de plaisir, même dégradés, amputés, invalides, enlaidis » écrit Waynberg. Il est important de pointer cette opposition entre le modèle instinctuel et hormonal, sorte de décharge instinctuelle que l’on attribue volontiers au vieillard et ce d’autant plus qu’il est stigmatisé par la maladie, et le modèle hédonique et culturel du comportement érotique qui serait l’apanage des plus jeunes. L’imaginaire, la rêverie jouent chez la personne âgée un rôle primordial. Le simple fait de se tenir la main peut être vécu comme une résurrection du corps. Ce contact, source de mémoire, peut être source de plénitude apaisante reliant temps passé et présent. Ce moment de rêverie que l’on peut imaginer partagée, est un espace-temps de retrouvailles.

La sexualité est relation. Les manifestations de tendresse physique, les caresses, les baisers, les étreintes sont des modes relationnels. Le terme de relation sexuelle prend de plus en plus de sens et d’ampleur au fur et à mesure de l’avancée en âge. Elle est partage d’émotions et de sensations. Elle passe essentiellement par le corporel ou du moins par le non-verbal et peut être considérée comme un mode relationnel à part entière. Lorsque la parole fait défaut, le geste partageable fait la relation. Il peut exister une forme de transfert relationnel autour de la sexualité. Le sens n’étant plus accessible car difficilement décryptable la sensation pourra faire lien, permettra de maintenir un attachement et parfois même transformera une relation. Ce fut le cas de Georges et Simone. Je les ai reçus en consultation à la demande de Simone, son mari étant atteint d’une maladie d’Alzheimer diagnostiquée trois ans auparavant et évoluant depuis environ six ans. Elle désirait « faire le point ». Georges étant dans un jargonnage, c’est Simone qui s’exprime. J’avais été très frappé dès le début de l’entretien par la présence réciproque qui émanait d’eux. Georges, attentif, tenait la main de son épouse. Ils échangeaient des regards tendres. Simone me disait que son mari avait été agressif à une époque, mais que maintenant tout allait bien. Qu’il avait été très agité, déambulant, mais que maintenant tout allait bien. La consultation s’est déroulée ainsi, pointant un passé difficile et parlant d’un présent serein. Je m’apprêtais à conclure la consultation lorsque Simone fut débordée par une bouffée d’émotion. Entre deux sanglots, elle réussit à m’expliquer que le moyen qu’elle avait trouvé pour contrôler (sic) Georges était la sexualité. C’était quelque chose d’important pour lui et ils avaient arrêté toute sexualité plusieurs années avant l’arrivée de la maladie car elle-même n’y trouvait pas son compte. Je lui expliquais qu’elle avait ainsi trouvé un mode relationnel, une forme de communication et l’on voyait bien qu’entre eux ce mode de communication fonctionnait bien. Je m’apprêtais de nouveau à conclure l’entretien quand une nouvelle bouffée d’émotion la déborda. Elle réussit à m’expliquer, son mari lui caressant la joue, qu’elle n’avait jamais tant eu de plaisir dans sa sexualité et qu’elle se sentait terriblement coupable du plaisir qu’elle prenait. Il a fallu plusieurs rencontres pour resituer cette relation dans une normalité et dans son importance comme moyen d’échange et de communication. Georges est décédé quatre ans plus tard à son domicile.

Dans la maladie, chacun souffre et cette souffrance ne fait pas lien, elle ne peut être partagée au sein du couple. Au contraire, elle divise et enferme l’accompagnant et l’on peut penser qu’elle participe à l’enfermement de la personne malade. Construire, entretenir une relation implique un partage, nécessite un retour. Dans l’évolution de la maladie quelle est la part de la conscience de soi et de l’autre ?

La maladie pose la question du temps. Le patient, véritable « chrononaute », entraîne son entourage dans une valse du temps, le met au défi de le suivre dans un temps infiniment dilaté où passé et présent se télescopent. Les temps de rencontre dans une dualité présente semblent rares. Se retrouver dans un temps partagé est un jeu de piste dans lequel l’entourage et le conjoint se perdent. La sexualité est une temporalité partagée car, en particulier chez l’âgé, elle est un mélange de passé et de présent, une concaténation temporelle et relationnelle conservant le lien entre celui ou celle qui a été et celui qui est. La sexualité des personnes âgées n’est pas qu’une sexualité du présent. Elle est intemporelle. Et le lien n’est-il pas la base du devenir institutionnel des patients ? Pour Wright, le devenir des patients est, en effet, nettement plus favorable dans les couples sexuellement actifs que chez les autres. Le pourcentage de patients institutionnalisés passe de 12,5% chez les premiers à 32% chez les seconds, celui des patients décédés de 13 à 36%. Le lien et la relation vont contrebalancer les lourdeurs, les difficultés du quotidien en gardant la part vivante de l’autre, mais cela pourra-t-il perdurer avec l’avancée de la maladie. Une étude finlandaise, à trois ans à partir de l’apparition de la démence, a montré que 19 couples (46%) ont continué à avoir des rapports sexuels, à cinq ans, le nombre était de 15 couples (41%), et à sept ans, il n’était plus que de 7 couples (28%) . L’évolution de la maladie et la prise d’âge estompent ce lien, mais ne le rompent pas.

LECTURE INSTITUTIONNELLE DE L’INTIMITÉ DU MALADE

Quand la question de l’institutionnalisation se pose, la Charte Alzheimer, éthique et société, devrait donner le cadre. Elle précise en effet que « toute personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée conserve la liberté de communiquer et de participer à la vie en société. Les relations familiales, les liens affectifs et amicaux dans toutes leurs diversités, anciens et nouveaux, doivent être préservés et respectés. Le rôle des proches qui entourent la personne à domicile comme en institution doit être reconnu, soutenu et favorisé. Pour préserver ces liens, des solutions de proximité pour l’accueil et les soins doivent être systématiquement recherchées ». Cette préservation des liens affectifs est souvent difficile. Dans ce loft ou évoluent les âgés, cet open-space où il est difficile de rester seul avec soi et encore plus avec un autre, comment construire du lien affectif sous le regard de l’autre. Il est parfois d’étranges paradoxes institutionnels qui empêchent les résidents d’être dans leur chambre et leur reprochent des comportements inappropriés en public. Le résident, sous le regard permanent de l’autre, et ce d’autant plus qu’il est diagnostiqué « dément », n’aura d’autres alternatives que d’être cet individu public, privé d’intimité, exhibant son besoin de proximité avec le risque de renforcer ainsi la perception d’un individu ne pouvant plus contenir ses pulsions. Les représentations sociales inscrivent davantage la sexualité du vieillard dans le cadre d’une déviance de la morale et dans le registre de la perversion que dans un registre de développement et d’épanouissement personnel. La vision institutionnelle, ancrée dans les représentations sociales et les concentrant, peine à se détacher de cette vision négative. Le « dément » sera le point de focalisation de cette vision, justifiant par cette seule compréhension de qui il est les contrôles et les empêchements que l’institution lui fait subir.
Les attachements de la personne malade ne se font pas toujours au présent, mais restent un élément nécessaire. Les comportements de « collage » (la personne malade envahit l’espace d’un proche) en sont souvent la mise en évidence. On peut les comprendre pour certains patients comme une lutte contre l’angoisse et une tentative d’étayage. Parfois vécus comme envahissants, voire agressifs, interprétés dans un registre où la question du sexuel se pose, ils renvoient, par la perte de la norme sociale, à une vision bestiale, voire à la crainte d’une agression. Le contact physique qu’impose au soignant le malade inverse le jeu relationnel et inscrit le premier dans un registre défensif. La nature de la réponse, rejetante, parfois violente va confirmer la première lecture. Celle d’une personne portée par ses instincts, envahie par ses pulsions, exprimant une part libidineuse dont il est nécessaire de se défendre. Ce regard porté sur le malade conditionne et façonne les réactions et enferme chacun dans des réponses stéréotypées où l’autre, en tant que personne pouvant surprendre et ne se résumant pas à une part de ce qu’il montre, sera peu présent. Un(e) patient(e) Alzheimer peut « élire » comme conjoint ou partenaire sexuel potentiel une personne résidant dans l’institution. Que représente-t-elle ? La résumer à une figure d’attachement semble restrictif. Non interchangeable, elle ancre la personne dans le présent, la ramène à des gestes dont l’intentionnalité ne peut être niée. Ce qui semble certain, c’est qu’elle participe à la création d’un lien de reconnaissance la faisant émerger d’un anonymat, la nommant, la reconnaissant. Lorsque cette personne a un conjoint on peut comprendre la souffrance. La négation de l’intentionnalité, à travers le filtre de la maladie, peut être un élément de défense amplifié par l’institution, dans cette relation parfois ambiguë entre protection du résident et « collage » aux attentes de l’entourage.
Quelle que soit la maladie, la question du regard sur l’intimité se pose car elle oblige le partenaire ou l’institution à se positionner dans un registre qui dépasse la relation d’aide. Elle induit une interrogation sur la relation de chacun à sa sexualité. Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer vont se superposer plusieurs problématiques. Celle de l’âge, avec la difficulté d’une représentation d’une sexualité et celle d’une maladie posant la question du discernement. L’accompagnement des conjoints et la réflexion avec les équipes sont essentiels pour l’évolution des représentations et la lecture d’un relationnel qui ne parle pas que de maladie Cela passe dans un premier temps par une réflexion et un positionnement de l’institution vis-à-vis de la sexualité et de l’intimité. Pour les personnes malades cela va plus loin. Outre les questions de l’intime et du sexuel, nous avons à nous interroger sur la construction d’un lien affectif chez la personne malade, droit inaliénable de l’existence, sur la reconnaissance de la capacité de discernement quand est mise en jeu l’intelligence affective de celui touché par la maladie, et enfin sur la possibilité de créer une relation avec un nouveau partenaire quels que soient l’âge et la maladie. Il serait bon de se rappeler que l’absence d’un comportement même s’il est apaisant pour les entourages ne veut pas forcément dire qu’il ne traduit pas une souffrance de la personne malade. Dans cette temporalité qui lui est propre, la personne malade a le droit à ces moments-là, car, comme le chantait Jean Gabin, « Le jour où quelqu’un vous aime il fait toujours beau », et ce quelle que soit la durée du jour.

Gérard Ribes

Psychiatre, sexologue, enseignant chercheur associé, université lumière lyon. laboratoire santé, individu, société (EMA 4128)

Source internet consultée sur A.S.G – Assistant de Soins en Gérontologie