L’éthique ? Pour quoi faire dans nos pratiques soignantes ?

Pulblié le 17/05/2014 à 9h01 (mise à jour le 17/12/2016 à 14h20)

Reprenons en préambule une citation du philosophe Jankélévitch qui éclairera notre propos. « La philosophie est comme la musique, qui existe si peu, dont on se passe si facilement : sans elle il manquerait quelque chose, bien qu’on ne puisse dire quoi. (…) On peut, après tout, vivre sans le je-ne-sais-quoi, comme on peut vivre sans philosophie, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien. »

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Cette introduction de Vladimir Jankélévitch va nous servir à définir l’éthique et plus précisément à donner sens à nos pratiques soignantes. Quelle place exacte occupe l’éthique dans nos établissements de santé ?Combien de comités d’éthique ont vu le jour dans l’unique objectif de répondre aux exigences de la Haute Autorité de Santé (HAS) à visée de certification ?

Il ne suffit pas de graver le « bien-penser » soignant dans le marbre des protocoles et des modes opératoires pour se départir du risque.Il convient d‘insuffler un esprit, une âme à nos institutions, de partager une habitude, celle de douter de nos méthodes quand elles ne servent plus celui pour lequel nous sommes tous là : le patient.

Ces comités d’éthique sont une vraie chance pour nos établissements, ils peuvent devenir ce lieu où la parole interdisciplinaire se met au service de la vulnérabilité. Cet espace de discussion se donne une mission : rendre public un avis éclairé sur une situation où le meilleur possible ne cède jamais la place au moindre mal car le plus grand piège de la pensée éthique serait de confondre la médiocrité avec la norme.

Le contexte économique contraignant que nous connaissons ne peut bien sûr pas être balayé d’un revers de main dans la discussion éthique mais il ne doit pas présider à la réflexion. Il doit être pris en compte dans le débat et si nous pouvons le concevoir comme une contrainte rationnelle, il peut aussi poser les limites de l’acceptable en deçà duquel le soignant prend le risque de ne plus se retrouver.

Vladimir Jankélévitch nous montre bien qu’il est possible de vivre sans éthique, il est possible de travailler sans éthique, dans des culs-de-basse-fosse où la réflexion n’a plus droit de cité, où l’exécution de la tâche prend le pas sur la visée de l’idéal. Le soignant troquerait alors sa blouse blanche contre un bleu de travail sur une chaîne de patients devenus des objets. Alors bien sûr, nous pourrions vivre en vendant notre âme, sans éthique, mais tellement moins bien !

« Elever notre condition de soignant pour mettre en oeuvre une pensée critique qui tend à écrire le Soin en majuscule. »

Bien plus que « ce je-ne-sais-quoi »

L’éthique est bien plus que « ce je-ne-sais-quoi » dont parle Jankélévitch. Elle est peut-être même ce pilier fondamental, cette clé de voûte de l’art de nos professions, cette condition sans laquelle le Soin n’est plus un soin, la Médecine n’est plus de la médecine et où la banalité du mal s’infiltre insidieusement. C’est dans ce cas que le moindre mal porte le masque du bien, que la médiocrité devient la norme et que le soignant perd sa grandeur, son humanité et tout son sens.

Jacques Prévert nous disait qu’on « reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va » mais ce qui est très ennuyeux pour nous, c’est que l’éthique peut s’éclipser sans bruit et sans que personne ne s’en aperçoive… Ce « je-ne-sais-quoi » se révèle donc essentiel, incontournable et son absence insensible peut plonger le soignant vers le pire sans pour autant que ce dernier ait pu imaginer de nuire.

« L’encadrement soignant est doublement responsable : de l’éthique de son management et du management de l’éthique dans sa structure de soins. »

Le fait que l’éthique puisse se soustraire aussi simplement nous oblige tous à une immense responsabilité. Le soignant, bien sûr, est en première ligne face à la personne soignée, sommé de ne pas lui nuire. En interrogeant les soignants dans ce sens, ils répondent bien sûr qu’il y a une éthique, une morale, une déontologie qu’on ne peut éluder. Mais quand il s’agit de faire un distinguo entre éthique, morale et déontologie, les choses se compliquent. Pourtant c’est en les distinguant que nous nous élevons sur notre condition de soignant et que nous pouvons mettre en oeuvre une pensée critique qui tend à écrire le Soin en majuscule.

Les définitions qui suivent n’ont pas la prétention d’être suffisantes et mériteront certainement de plus amples développements.

  • L’éthique est une posture d’humanité, elle s’interroge sur ce qui est convenu comme un bien ou un mal et cherche à déterminer la meilleure façon de vivre ensemble. Aristote disait que « l’éthique ce n’est pas que des devoirs, c’est surtout chercher à être heureux ». C’est une habitude à pratiquer la voie de la juste mesure. Paul Ricœur pensait qu’il s’agissait de « la visée d’une vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes ».
  • La morale, elle, ne s’interroge plus, elle est un ensemble de valeurs que se donne un groupe en termes de bien et de mal. La morale donne des règles pour savoir ce que nous avons à faire ou à ne pas faire. Ce n’est pas pour autant que nous puissions nous passer de morale mais elle reste à mon sens insuffisante pour nous, soignants, car elle nous cantonne dans une éthique de conviction qui mérite d’être étoffée d’une éthique de responsabilité4.
  • La déontologie est une forme de morale professionnelle qui se décline en devoirs envers autrui (envers les patients, envers les confrères, collègues…). Pour certaines professions il existe des codes de déontologie (ou règles professionnelles) et l’ordre de la profession ou la loi elle-même peuvent sanctionner les contrevenants.

Faisons-nous de l’éthique sans le savoir ?

D’aucuns vous diront qu’ils pratiquent l’éthique comme Monsieur Jourdain pratiquait la prose… Sans le savoir ! Certes, nous pourrions nous autoriser à penser qu’elle est inhérente au Soin lui-même, mais est-elle immanente au soignant ? Ce serait trop simple et hélas, je ne le crois pas ! Par contre je crois en la capacité du soignant d’investir cette réflexion, de se l’approprier et de la diffuser par contamination philosophique.

Je ne peux qu’inviter l’encadrement soignant à promouvoir l’analyse critique dans ses pôles, ses structures de soins, pratiquer et permettre aux soignants l’accès aux formations en DU, DIU, Master, Doctorats afin que cette réflexion soit de plus en plus présente dans les comités d’éthique et les situations critiques qui concernent les personnes les plus vulnérables. L’encadrement soignant est doublement responsable : de l’éthique de son management et du management de l’éthique dans sa structure de soins.

L’éthique du management oblige le cadre de santé, le cadre de pôle, la direction des soins, la direction générale dans une forme de responsabilité morale qui nous met tous directement en lien avec la qualité du soin que reçoit le patient et le devoir de l’organiser. Le management de l’éthique concerne l’encadrement et son devoir de répondre à la vulnérabilité du patient par une organisation de soin et la mise en place d’une démarche éthique soignante.

L’éthique institutionnelle vise un sens commun où les acteurs se reconnaissent dès l’instant où « ce je-ne-sais-quoi » se traduit par un supplément d’âme à l’adresse de la personne soignée.


Auteur

Christophe PACIFIC, Cadre supérieur de santé, Docteur en philosophie christophe.pacific@orange.fr

Source internet consultée sur http://www.infirmiers.com